Business talk – L’implantation d’une marque outdoor premium française au Vietnam

Le marché de l’outdoor au Vietnam évolue de manière exponentielle depuis quelques années. Pour mieux comprendre cette tendance, nous avons rencontré Christophe Trémeaux, propriétaire du showroom Fermob à Thao Dien.

Bonjour Monsieur Trémeaux, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Le marché du meuble et le monde du design ne vous étaient pas inconnus avant de vous lancer dans l’aventure de l’outdoor avec Fermob. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours professionnel ?

En effet, dès la fin de mes études, j’ai intégré ce domaine qui m’a toujours fortement intéressé. J’ai travaillé au Bon Marché à Paris, puis je suis parti à Londres où je suis finalement resté 14 ans. J’ai été directeur d’un magasin Roche Bobois, puis de plusieurs dans le pays et sur le continent. Je suis revenu 4 ans à Paris avant de partir pour Shanghai en tant que directeur commercial pour l’Asie, toujours pour Roche Bobois.

Changer de continent, c’est aussi s’adapter à de nouvelles habitudes de consommation. Le positionnement n’est pas tout à fait le même selon les régions : les marques comme Roche Bobois sont haut de gamme en Europe mais se positionnent comme des marques de luxe en Asie, par exemple.

Enfin, j’ai déménagé au Vietnam pour superviser les ventes et le développement de deux magasins Roche Bobois à Hô Chi Minh-Ville et Hanoï. C’est à ce moment-là que j’ai été approché par Fermob.

Concernant le marché outdoor en Asie, il semble qu’il se développe de façon assez hétérogène selon les pays. Comment était implanté Fermob dans la région à ce moment-là ?

La population vietnamienne est jeune, motivée et de plus en plus éduquée. Porté par une situation politique stable, le Vietnam offre de vastes perspectives de développement économique. Avec une croissance estimée à 5 % d’ici 2029, le marché du meuble vietnamien regorge d’opportunités. Le secteur de l’outdoor devrait générer 80 millions de dollars en 2025, avec 60 % de parts de marché concentrées à Hô Chi Minh-Ville, ce qui reflète bien son statut de capitale économique du pays. C’est un secteur en pleine expansion : on prévoit une croissance de 2,5 % par an sur les prochaines années, avec une forte progression attendue dans les catégories premium et luxe.

Fermob est une marque française, précisément lyonnaise, connue dans toute l’Europe comme une référence de mobilier outdoor. Depuis quelques années, le marché de l’outdoor commence à se développer en Asie. Fermob avait déjà commencé à implanter sa présence via des boutiques dans certains pays stratégiques comme la Corée, le Japon ou la Thaïlande. Aucun magasin Fermob n’existait au Vietnam. On pouvait trouver quelques produits dans des corners de partenaires multimarques distribuant surtout de l’indoor, mais rien de très marquant. La marque n’avait aucune présence au Vietnam et n’était connue que par le bouche-à-oreille.

Et alors, comment avez-vous construit à la fois votre relation avec Fermob et votre entreprise ?

J’ai été contacté par les propriétaires du magasin Fermob de Bangkok parce que je travaillais dans le milieu du meuble au Vietnam. Ils cherchaient une personne intéressée par le projet d’ouvrir une boutique pour représenter Fermob à Hô Chi Minh-Ville. En y réfléchissant, je ne trouvais personne à leur recommander, mais le projet m’intéressait beaucoup.

Alors, avant de me lancer, j’ai étudié le marché. Puis je me suis associé avec le propriétaire de la franchise de Bangkok. Il connaissait Fermob, moi le Vietnam. Ensemble, avec l’aide d’un conseiller juridique vietnamien, nous avons monté la société Poétic Garden, franchisée Fermob. Tout au long de cette aventure, nous avons été accompagnés par l’équipe de Relocation Vietnam qui nous a conseillés et aidés à chaque étape : de la création de la société à la location du magasin, en passant par la partie immigration. Habituellement, on monte une société puis on trouve un local, mais nous avons fait l’inverse. Un coup de cœur pour une magnifique boutique d’angle de Thao Dien nous a poussés à accélérer notre processus, et six mois après nous avons ouvert la boutique. Nous avons élaboré tous les plans main dans la main avec Fermob : tout le projet a été collaboratif, ce qui nous a permis de construire une relation solide. Je reçois régulièrement des directives que je suis libre de suivre en fonction du contexte du magasin. Par exemple, Fermob nous fait parvenir de nombreux supports marketing que nous sommes libres d’exploiter et de compléter. Aujourd’hui, 50 % de notre communication est issue de Fermob et l’autre moitié est alimentée par nos projets locaux.

Je suis tout à fait libre de fixer mes prix, en prenant en compte les coûts de production, de transport… Actuellement, les prix que je propose sont les mêmes qu’en Europe pour les premières collections, et les gammes plus élevées sont environ 30 % supérieures au marché européen. Implanter la marque ici est un véritable challenge : nous travaillons constamment à ajuster son positionnement et à accroître sa visibilité afin de la faire connaître au sein de la population vietnamienne.

Vous aviez passé 5 ans au Vietnam avant de vous lancer dans ce projet, vous aviez donc sûrement une idée assez claire du fonctionnement du pays. Néanmoins, qu’est-ce que le Vietnam apporte comme avantages et comme lot de difficultés ?

Quand on vit et qu’on travaille depuis plusieurs années au Vietnam, on s’habitue aux absurdités administratives locales. Je dirais que tout est toujours plus compliqué ici, mais que rien n’est impossible. Il faut simplement s’armer de patience. Et pour avoir travaillé en France, on ne peut pas dire que l’administratif soit vraiment plus compliqué ici.

Mais sur certains points, les Vietnamiens sont très rapides et arrangeants, notamment pour les travaux. Quand nous avons trouvé notre local et élaboré les plans, il a fallu rapidement faire quelques ajustements : repeindre les façades, installer les enseignes, etc. Il est très facile d’employer des artisans efficaces et disponibles en quelques jours.

De plus, le Vietnam regorge d’entreprises internationales, surtout à Hô Chi Minh-Ville. Trouver un partenaire logistique fiable pour l’envoi des produits a été plutôt simple. J’ai rapidement trouvé une société de transport française qui venait de s’implanter au Vietnam et avec qui tout fonctionne bien.

La politique vietnamienne est orientée business friendly. L’un des réels avantages du Vietnam se situe dans les coûts d’implantation, opérationnels et de fonctionnement. Les taxes d’importation sont moindres grâce au traité VFTA de libre-échange. Le seuil de rentabilité de notre magasin est 5 fois plus bas ici que s’il avait été en France.

Comment percevez-vous les goûts et attentes de votre cible de consommateurs, et que faites-vous pour vous y adapter ?

Notre clientèle est composée à 95 % de Vietnamiens aisés à la recherche de qualité européenne. À mesure que le Vietnam évolue, leur pouvoir d’achat augmente et le marché se développe.

Leurs goûts sont similaires à ceux des Européens, surtout en termes de couleur. Fermob propose actuellement une palette de 25 couleurs, qui évolue chaque année. Les plus vives sont beaucoup utilisées pour les campagnes marketing et pour attirer le public en magasin, mais les consommateurs finissent souvent par choisir des tons neutres et sobres.

Les designs Fermob sont organisés en plusieurs collections qui s’adaptent aux profils des consommateurs. On a plutôt tendance à élargir nos gammes plutôt qu’à en sortir de nouvelles chaque saison. Néanmoins, Fermob se développe, avec des options d’assises en tissu ou en cuir destinées aux intérieurs, et une cuisine d’extérieur présentée au salon du meuble en avril dernier à Milan.

Ici, pour toucher notre cible, en dehors de la boutique qui est indispensable, nous communiquons beaucoup sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook qui est très utilisé par les Vietnamiens.

Comment les demandes des consommateurs influencent-elles vos décisions ? Avez-vous un exemple ?

Étant une référence en matière d’aménagement d’extérieur, nous avons aussi des demandes qui ne peuvent pas être satisfaites par Fermob uniquement. C’est le cas de cafés ou restaurants qui n’ont pas toujours le budget ou le temps. Nous avons un entrepôt où sont stockés quelques best-sellers, mais la plupart des commandes viennent de France.

La production prend en moyenne 5 à 6 semaines, le transport maritime environ 2 mois, puis il faut compter la douane et le transport terrestre. On prévoit en général 4 mois entre la commande et la livraison, ce qui n’est pas toujours envisageable pour nos clients.

Nous avons aussi de plus en plus de demandes pour d’autres matériaux que l’acier et l’aluminium, comme le bois ou le teck. J’ai pris en compte tout cela et, avec l’accord de Fermob, j’ai divisé le magasin en deux espaces : le rez-de-chaussée est dédié uniquement à Fermob, et la mezzanine nous permet de nous ouvrir à des produits différents.

Il faut savoir que le Vietnam est le 2e exportateur mondial de meubles, notamment en bois, avec 93 % de sa production directement destinée à l’export. Le mobilier outdoor représente une part significative et grandissante de ces exportations. Ainsi, seule une fraction minime de la production nationale est écoulée sur le marché intérieur vietnamien.

Mon but est de proposer des articles produits localement, toujours haut de gamme, qui répondent à une demande plus large. Aujourd’hui, je propose du mobilier en bois, des jardinières, des luminaires, en plus des produits Fermob.

Quelles sont vos perspectives pour l’avenir ? Avez-vous des projets à court terme, à long terme ?

Notre activité se développe petit à petit. Le début de l’année 2025 a été très positif avec une progression de 30 % par rapport à l’année passée. Une telle progression nous encourage à penser à l’avenir.

Les marques premium comme Fermob ne peuvent pas se faire connaître uniquement en ligne. Une présence physique est indispensable à la construction d’une bonne visibilité et d’une notoriété.

Le District 7 de Hô Chi Minh-Ville est une zone de chalandise très intéressante. À court terme, j’aimerai déployer la marque à travers la ville en y ouvrant un deuxième magasin. Nous avons déjà des commandes pour Hanoï, donc l’objectif à moyen terme sera de couvrir tout le pays avec un troisième magasin au cœur de la capitale.

Enfin, si je trouve des investisseurs et des partenaires qui ont foi en ce projet, ma vision à long terme est à l’échelle de l’Asie. Fermob n’est pas encore présent physiquement dans certains pays comme la Malaisie, l’Indonésie ou le Cambodge, où il est d’ores et déjà intéressant de se projeter.

Quel conseil donneriez-vous à un entrepreneur qui souhaite monter son business au Vietnam ?

Tout d’abord, de bien se préparer. Même si le marché est favorable, il faut absolument bien préparer son projet, son budget selon le secteur, et surtout se renseigner localement.

Pour s’installer à l’étranger, il est nécessaire d’être humble vis-à-vis des populations et des cultures qui nous accueillent. Le conseil que je peux donner, c’est de bien s’entourer : avoir un conseiller juridique, un comptable qui connaît le pays peut éviter de nombreux écueils.

Et également d’être patient et ouvert, d’apprendre de ses erreurs. Ce n’est pas parce que ça ne marche pas qu’il faut laisser tomber : il faut être prêt à se planter parfois et continuer à penser au long terme.

Pour finir, pouvez-vous nous raconter ce qui vous passionne tant dans votre position actuelle ? Et nous partager ce qui vous rend le plus fier dans votre parcours global ?

Je suis passionné de design, que ce soit des meubles d’intérieur ou d’extérieur. J’aime présenter ma sélection de mobilier : c’est ma façon d’aider mes clients à avoir un bel espace extérieur, confortable et qui leur correspond.

Je suis fier du magasin qui est le mien, surtout depuis son nouvel agencement, et du succès qu’il connaît malgré les challenges.

Et plus généralement, je suis fier d’avoir plus de 20 années de vie professionnelle à l’étranger, d’avoir su m’adapter sans problème dans chaque pays, et de mon ouverture d’esprit face aux différentes cultures.